« Generation What? » : le format nouvelle génération

par  Margaux Putavy
étudiante du Master Médias et Management, CELSA 2015-16
juin 2016

Objet médiatique hors du commun, « Generation What? » offre un parfait exemple de format. Comment cette adaptation d’un format français à un format européen a-t-elle pu avoir lieu ? Comment gère-t-on un format à l’échelle européenne ? Et surtout, comment ce vaste projet européen enrichit-il la notion même de format ? Effeuillage a tenté de comprendre les enjeux médiatiques soulevés par la mise en place d’une opération telle que « Generation What? » en rencontrant Hélène Saillon, responsable de la coproduction européenne transmédia « Generation What? » et Steven Clerima, coordinateur de la délégation française Eurovision 2016.  

Trois ans après le succès de « Génération quoi ? », Yami 2, Upian, France Télévisions et l’Union Européenne de Radio-télévision (UER) s’associent de nouveau afin d’étendre l’opération au-delà des frontières françaises. « Generation What? » a pour ambition d’aider les jeunes Européens de 18 à 34 ans à dresser un autoportrait de leur génération. Comme sa grande sœur, « Generation What? » est une opération en trois temps. D’abord, un site héberge un questionnaire de 143 questions. Le site est enrichi par des portraits et des données statistiques qui permettent à chaque répondant de découvrir ce que pensent les autres sondés et comment il se situe par rapport aux autres jeunes Européens [1] .

L’opération s’accompagne également de quatre documentaires de 52 minutes réalisés par Simon Bouisson et Pierre Bourgeois, coproduits par la France, l’Allemagne, le pays de Galles, la Belgique et le Luxembourg et diffusés sur France 4 en mai 2016. Enfin, en novembre prochain, les réponses au questionnaire seront analysées par des sociologues et les résultats de l’enquête feront l’objet d’une restitution. Si la forme de cette restitution reste à déterminer, une certaine résonance médiatique permettrait de valoriser l’étendue et le caractère scientifique inédit d’une telle entreprise. À l’heure où cet article est écrit, le questionnaire a d’ores et déjà enregistré 700 000 répondants pour 60 000 000 réponses.

La genèse du projet

Revenons quelques instants sur la genèse du projet. « Generation What? » voit le jour dans un contexte où les chaînes européennes de service public constatent qu’elles se sont peu à peu coupées du jeune public. L’opération apparaît alors comme un moyen de toucher les jeunes, de les intéresser, de s’adresser à eux en tentant de comprendre leur quotidien de citoyens européens. C’est donc avec le soutien de Rémi Pflimlin, ex-président de France Télévisions, que le projet trouve un écho au sein de l’UER installée à Genève. Lorsque l’équipe française et l’UER présentent « Generation What? » pour la première fois dans les locaux parisiens de France Télévisions, de nombreux pays répondent à l’appel, entre autres l’Italie (RAI), la Belgique francophone (RTBF), la Belgique flamande (VRT), les Pays Bas (NPO) ou encore l’Allemagne (BR). Pour ces présentations, il s’agissait surtout d’être excessivement didactique, la richesse du format le rendant quelque peu obscur à expliquer, et en l’occurrence à « vendre », aux autres acteurs européens. Christophe Nick décrit cette phase d’argumentation et de rencontre avec les diffuseurs européens.

Suite à ces premières entrevues, quelques pays se retirent du projet, malgré l’unanime enthousiasme initial. Les pays nordiques (Norvège, Finlande, Suède) abandonnent « Generation What? », notamment faute de budget. Ces désistements ne sont pas anodins, l’UER exigeant un minimum de dix pays participants pour se lancer à son tour dans l’aventure.

Un format européen

Selon Christophe Nick, « ce projet, qui invite les jeunes Européens à se définir et à prendre position, est à l’image des contradictions que vivent au quotidien les pays de la communauté européenne ». Dans les difficultés comme dans l’ambition et l’inspiration initiales, le projet « Generation What? » porte daenns son sein même la notion d’Europe. « Generation What? » n’est pas un format sur l’Europe et ses problématiques sociales, « Generation What? » est un format européen : l’Europe s’inscrit dans la structure et la construction du format, avant même de constituer son contenu. Dans cette mesure, il est apparu naturel aux équipes de France Télévisions de proposer un rapprochement entre cette opération et le Concours Eurovision de la Chanson. L’objectif de cette collaboration entre les équipes des deux projets était principalement communicationnel : il s’agissait de solliciter les artistes des différents pays afin qu’ils invitent leurs fans à remplir le questionnaire. Ainsi, Amir Hadad enregistre une courte vidéo, dans laquelle il se filme en train de répondre au questionnaire et encourage les jeunes Français à se prêter au même exercice. L’Eurovision et « Generation What? » ont pour dénominateur commun leur caractère européen ; les confronter nous permet d’enrichir notre réflexion et de mieux comprendre ce qui fait la particularité d’un format européen. L’évolution du programme de l’Eurovision nous invite à imaginer ce que pourrait devenir, à terme, une opération comme « Generation What? ». En 2015 et 2016, l’Australie est conviée à la cérémonie, participant à la compétition et se hissant même jusqu’à la 5ème puis à la seconde place du concours. L’édition 2016 est même marquée par la venue exceptionnelle de Justin Timberlake, comme un moyen d’intéresser le public américain. De là à supposer que les Etats-Unis ou le Canada chanteront bientôt pour décrocher les fameux 12 points, il n’y a qu’un pas. Est-ce à dire que « Generation What? » franchira un jour les frontières européenne ? Après le portrait de la jeunesse française, celui de la jeunesse européenne, cherchera-t-on à dessiner la Génération monde ?

En tant que « pur format »[2] , comme le décrit Christophe Nick, « Generation What? » est même une mise en abîme de la notion de format. Bien sûr, le projet est un format en lui-même : il comprend, comme nous l’avons expliqué, une série de documentaires, un questionnaire en ligne accompagné de chiffres clés et de vidéos ainsi qu’une une phase de restitution. En tant que tel, le format est bel et bien reproductible ; il est aisé d’imaginer une nouvelle version (une nouvelle saison pourrions-nous dire) de « Generation What? » dans quelques années, afin de mesurer l’évolution de la jeunesse européenne. À un second niveau de lecture, le site est lui-même décliné en plusieurs versions selon les pays de destination. Sur chaque version nationale du site, les modules vidéos sont ouvertement formatés : les jeunes interrogés ont des profils similaires, les décors sont reconnaissables, tout comme le cadrage. Il va sans dire que les questionnaires sont également extrêmement proches. Au sein même du format de l’opération européenne, d’autres mini-formats apparaissent donc.

Redéfinir le format

On le voit, la reproductibilité du format ne fait aucun doute. Mais qu’en est-il de l’exportation, autre caractéristique essentielle du format ? Certes, les petits modules vidéo sont exportables, en ce qu’ils peuvent être reproduits dans chaque pays. Mais est-ce bien le cas de l’opération dans son ensemble ? Dans le cas d’un format européen, et potentiellement mondial comme nous l’avons montré, que reste-t-il de l’exportation ? En d’autres termes, plus terre-à-terre, quel marché peut-on encore conquérir quand le format mis en place comprend déjà, dans sa définition même, une partie non négligeable du monde ?

C’est justement là que « Generation What? » démontre toute son originalité médiatique. Le passage d’une opération française à une opération européenne semble nous inviter à compléter la définition du concept de format audiovisuel. Peut-être assiste-t-on ici à l’apparition d’une nouvelle catégorie de formats, des formats qui auraient vocation à être non seulement exportés mais aussi enrichis, complétés. Tout comme douze pays européens sont venus enrichir le premier projet « Génération Quoi ? », l’on peut imaginer que d’autres nations rejoindront un jour l’aventure pour proposer une nouvelle déclinaison de l’enquête. Et c’est peut être aussi dans ce processus d’intégration et d’association que l’innovation audiovisuelle pourra, à terme, se développer.

Parce qu’il est unique en son genre, parce qu’il favorise la collaboration internationale, mais surtout parce qu’il est résolument moderne dans sa manière d’envisager la création audiovisuelle et numérique, « Generation What? » apparaît comme un véritable modèle médiatique qui, nous l’espérons, saura inspirer les générations à venir.

[1] Christophe Nick, « Génération What, Le format qui casse les frontières », Effeuillage n°5 2016, p. 74.

[2] Christophe Nick, « Génération What, Le format qui casse les frontières », Effeuillage, 2016, p. 73.