Vaness La Bomba, pastiche des YouTubeuses beauté
par Mathilde Vassor
étudiante au CELSA
Master 1 Communication des Entreprises et des institutions
juin 2015
Vaness La Bomba, personnage mi-ridicule mi-attachant créé en 2010 par Marie-Sophie Larrouy, incarne les nouvelles modes numériques et les met en scène sur Internet via son blog et sa chaîne YouTube. Depuis 2014, Vaness La Bomba poste chaque semaine une vidéo de cinq minutes environ. Une vidéo drôle, qui intéresse d’autant plus Effeuillage qu’elle reprend les codes du média YouTube, en force les traits, et dénonce au passage certaines des pratiques de ceux qui utilisent Internet en escomptant se construire une renommée à tout prix.
La reprise des codes de la chaîne YouTube
Vaness La Bomba est une « YouTubeuse », beauté aguerrie, qui maîtrise l’usage de la caméra et se filme sans complexe dans sa chambre, tout en s’adressant directement à son public. Ce faisant, elle s’inscrit dans un format, connu et reconnaissable, qu’elle pastiche. Un « tutoriel beauté », souvent désigné sous son diminutif « tuto », c’est un format-type : la YouTubeuse présente non seulement des astuces mais également des produits qu’elle a testés, elle partage son expérience avec un public censé lui ressembler ; en l’occurrence, un public féminin, plutôt jeune et ancré dans le monde du consumérisme, en ce sens que ses valeurs communes sont constituées principalement d’une consommation effrénée, montrée, revendiquée. Vaness La Bomba, YouTubeuse caricaturale, utilise les thèmes d’une pratique particulière de « tuto beauté », le « hauling », ou « glory hauling », qui consiste à déballer devant sa caméra ses achats, tout en les commentant.
Un pastiche de la YouTubeuse
« Le ridicule ne tue pas » dit-on… et heureusement, car Vaness La Bomba arbore le smocky-eye arc-en-ciel et le sarouel avec fierté. La reprise des codes du « tuto beauté » s’accompagne d’un phénomène d’exagération, ressort du pastiche et de la caricature que donne à voir Vaness La Bomba. Un pastiche d’abord, puisqu’il s’agit de l’imitation d’un genre. Mais une caricature également, puisque l’imitation outrancière des traits d’une YouTubeuse fait rire. Le personnage, créé de toutes pièces par Marie-Sophie Larrouy, conjugue une apparence vulgaire et une syntaxe fautive agrémentée d’un vocabulaire truffé d’impropriétés, le tout magnifié par un pseudonyme des plus kitsch. Tout en Vaness La Bomba respire le mauvais goût. Pointée ici au second degré, l’activité de « hauling » prend un tour des plus risibles. Par exemple, Vaness déballe ses courses du supermarché Dia, expliquant qu’elle a « beaucoup aimé le packaging des knackis bowl » qui peut être « réutilisé, donc c’est pratique ». C’est en les imitant que Vaness La Bomba dénonce un ensemble de pratiques médiatiques corrélées : « hauling » « tutos beauté » ou encore « street style », cette tendance qui consiste à décrire, lors d’une interview, les vêtements que l’on porte.
La Youtubeuse, Précieuse Ridicule du XXIe siècle
Entre Vaness La Bomba, modeuse et geek à la pointe de la modernité, et Les Précieuses Ridicules moquées par Molière au XVIIe siècle, le lien de parenté n’est pas si éloigné… Marie-Sophie Larrouy crée une comédie moraliste – les moralistes du XVIIe siècle avaient pour devise « plaire et instruire ». Les comédies de Molière imitaient les pratiques de la société, le dramaturge les dénonçait. Le principe : pousser le spectateur à se gausser des personnages pour mieux critiquer la société dans laquelle il vit. Vaness La Bomba amène l’internaute à poser un regard critique sur une pratique et, plus largement, sur notre société contemporaine. Nous avons affaire à une comédie de mœurs qui feint de glorifier pour mieux tourner en dérision.
L’autre phénomène critiqué dans ces vidéos humoristiques, c’est le fait que cette pratique de YouTubeuse puisse être rémunératrice sans que les principales intéressées en fassent état. Vaness La Bomba met au jour ce mode de fonctionnement. Elle fait on ne peut plus clairement référence à ce besoin de « commentaires » et de « suivi » de la part des internautes, puisque ces deux critères sont la monnaie d’échange pour espérer obtenir un accord avec des sponsors. Pour les gestionnaires des marques, il arrive que les YouTubeuses beauté soient considérées comme un canal de publicité à moindre coût, puisque les internautes qui suivent ce type de chaîne recherchent des conseils d’achat. Les stars du « hauling » reçoivent des produits à tester et se voient parfois proposer par le média YouTube un partage des revenus. Cette pratique est cependant rarement mise en avant par les YouTubeuses elles-mêmes ; elle est au contraire fréquemment niée. C’est cette hypocrisie que dénonce l’auteur du personnage Vaness La Bomba.
En somme, la critique de Vaness La Bomba est efficace parce qu’elle est drôle. On peut, certes, simplement regarder ces vidéos pour se détendre, mais on peut également voire ces dernières comme une satire plus profonde, et même virulente, de la société, de la place qu’y tient la consommation, de la vacuité de certaines pratiques médiatiques. Car Vaness La Bomba n’est pas seulement une YouTubeuse beauté : elle est aussi l’auteur d’un blog sur lequel elle publie des photos de mode, des reprises de chansons, de belles citations… Un condensé de pratiques éditoriales devenues banales et qui pourtant prêtent ici à sourire et à rire. Chantre du web 2.0, des médias participatifs, symbole du fameux et souvent vanté, pro-am (association hybride entre amateur et professionnel), Vaness La Bomba vante des pratiques que, dans l’ombre, Marie-Sophie Larrouy fait voler en éclats de rires… moqueurs.
Qu’est-ce qu’une chaîne YouTube ?
La chaîne YouTube permet de rassembler des utilisateurs ayant un intérêt sur un sujet spécifique. L’auteur se présente comme expert, se filme et partage son expérience régulièrement avec une communauté d’internautes intéressés par le même sujet. Une périodicité fréquente, sur le modèle d’une série, constitue un bon moyen de rassembler un public et de le fidéliser. Il existe une foultitude de chaînes YouTube, traitant de sujets divers et variés. Parmi eux, la pratique des tutoriels beauté est très populaire. Sur sa chaîne YouTube, une experte confie aux internautes ses habitudes, sur le mode du conseil. Cette pratique peut parfois s’apparenter à un métier : quelques « YouTubeuses » se font rémunérer grâce à des sponsors, sans toutefois en faire état car ce financement reste généralement secret.